Une histoire à raconter

par Gilles A. Davidson

« Le souvenir est le parfum de l’âme », dit George Sand. De son côté, Colin Powell affirme « Nos souvenirs les plus réconfortants sont ceux de notre enfance ».
Mon séjour au jardin d’enfants fut à la fois mémorable et monotone. Avec le temps, j’avais appris plusieurs choses, en particulier, à me retenir. Aller à la toilette était hors de question. Vous connaissez l’histoire… Je crois que j’étais un des seuls en classe à pouvoir réciter le « Je vous salue Marie » par cœur. Vous vous demandez quel rapport existe entre me retenir et le « Je vous salue Marie »?

Ce qui explique ce détail n’est certainement pas mon désir d’aller au ciel ou de démontrer ma grande piété. C’était plutôt une façon de me donner une force surhumaine qui me permettrait de me rendre à la maison à toute vitesse sans me mouiller. Donc, la pause du dîner et la sortie des classes étaient une course contre le temps. Je vous avoue que pendant plusieurs années à Sainte-Croix, la Sainte Vierge courait à mes côtés et ça marchait l’affaire!

Les expériences vécues avec les jeunes de mon âge, dans la cour d’école et dans le voisinage,ont contribué, en partie, à la formation de mon caractère. Toutefois, avoir du caractère c’est avoir de la volonté, du courage, de l’audace et être ferme. C’est aussi haïr la violence et la cruauté et mépriser ceux qui abusent et qui profitent des autres. C’est reconnaître la valeur de l’engagement personnel, du sens de la responsabilité, de la coopération, et de la loyauté. Des qualités souhaitables qui prennent essor au sein de la famille et de l’école. C’est avec cet énoncé que je tourne mon regard sur la cour de l’école Sainte-Croix pour vous faire part d’une expérience particulière.

La cour d’école couvrait une grande superficie. Elle s’étendait est en ouest de la rue Léonia à la rue Anthony. Sur sa longueur direction nord-sud, elle partait de l’édifice original de l’école et allait rejoindre les cours arrière des maisons sur la rue Walton. La partie nord de notre cour d’école m’attirait tout particulièrement, car l’automne et surtout au printemps, elle était inondée. Cette partie du terrain se transformait en un étang qui attirait les jeunes du voisinage. Pendant l’hiver, grâce aux bons conseils de mon père, j’ai appris à patiner sur cette belle surface de glace.

Là, de nombreuses heures furent consacrées à patiner, à glisser, à jouer et à socialiser. Certains de mes amis y passaient des journées entières. Pour éviter de retourner à la maison, certains préféraient étancher leur soif en perçant la glace avec un bon coup de patin. L’eau qui jaillissait était désaltérante avec un petit arrière-goût de je ne sais pas quoi! Ça, c’est de l’initiative!

Au printemps, l’endroit devenait une mer. Les gars avec des bottes de caoutchouc pouvaient traverser l’étang sans trop d’ennui. C’était devenu un genre de compétition à savoir qui pouvait se rendre d’un côté à l’autre sans se mouiller les pieds. Ces jeunes intrépides chassaient la peur et démontraient un courage admirable. C’est à ce moment que ce désir de traverser l’étang en bottes de caoutchouc est devenu pour moi une obsession.

Au printemps de ma 6e année, j’ai commencé à achaler mes parents pour des bottes. Pendant plusieurs semaines, j’ennuyais mon père et j’encourageais ma mère en expliquant les avantages d’avoir des bottes de caoutchouc. Des bottes avec une semelle orange et une bande décorative de la même couleur qui entourait le haut. J’en avais remarqué chez V & L Shoe Store lors d’une visite avec ma mère pour l’achat de bottes roses pour une de mes sœurs. Rose, yukkk!

Après deux semaines d’argumentation futile, de regards sévères et de commentaires décourageants de mes parents, j’avais perdu espoir. Que pour le reste de ma courte vie je serais poigné avec ces maudites bottes d’hiver noires, deux tailles plus grandes (pour pouvoir les porter au moins trois ans) avec quatre attaches ajustables en métal qui ne valaient pas cinq cents.

Un samedi après-midi, je suis entré dans la maison comme un coup de vent.

J’étais essoufflé et fatigué après avoir passé plusieurs heures dehors avec mes amis. Maman m’appela vers elle et avec son sourire chaleureux, elle me présenta une boîte. J’étais stupéfait, surpris, et demeurai bouche bée.

J’ai pris la boîte à deux mains et je me suis assis sur une chaise de cuisine. Pendant une minute, j’ai regardé cette boîte surprise sans l’ouvrir afin de ne pas être déçu. Toutefois, ce qui me chatouillait le nez était le parfum agréable de caoutchouc neuf qui s’y échappait. Prenant mon courage à deux mains j’ai enlevé le couvercle. À ma grande surprise, une paire de bottes de caoutchouc neuves me sauta aux yeux! Des bottes avec une semelle orange et une bande décorative de la même couleur qui entourait le haut. J’étais au ciel! Mon impossible rêve s’était enfin réalisé.

Ce soir là, avant le dodo, j’ai remercié mes parents pour ce geste inoubliable. J’étais conscient que nous n’étions pas en moyen et que Maman et Papa avaient fait un sacrifice financier pour m’accorder ce grand bonheur. En me couchant, j’ai placé mes nouvelles bottes à côté de mon lit. Fixant le plafond de ma chambre faiblement éclairé par la lampe de cuisine, j’ai rêvé à toutes les possibilités que ces bottes pouvaient me donner. J’étais enfin libre! Je me suis endormi heureux, avec l’odeur plaisante de caoutchouc. Ce que je ne réalisais pas à ce moment de ma jeune vie c’est que la liberté entraîne des responsabilités et des conséquences.

À suivre

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